lundi 29 janvier 2018

Entrevue Le Vénérable W. (Barbet Schroeder)

Avec son documentaire Le Vénérable W. qui porte sur le moine Ashin Wirathu, une des figures clés du désordre qui règne actuellement en Birmanie, le cinéaste Barbet Schroeder termine sa trilogie sur le mal qu'il a entamé avec Général Idi Amin et L'avocat de la terreur. J'ai pu lui parler et voici mon entrevue...

Je sais que vous l'avez déjà fait par le passé, mais comment fait-on pour interroger quelqu'un que l'on sait coupable de crimes haineux?
C'est le but de tous les films de cette trilogie. Le précédant était quand même à l'origine du terrorisme moderne. Et celui d'avant, c'était un dictateur sanguinaire comme il y en a beaucoup. Quelqu'un qui est responsable ou qui est partiellement responsable d'un génocide, c'est quand même ce qu'il y a de pire lorsqu'on va rechercher dans le mal. Là, ça boucle la trilogie et il faut que j'arrête, parce que je ne peux pas trouver pire. Par contre, je peux commencer une trilogie du bien, si c'est possible!

Comment vous l'avez convaincu à participer au projet?
C'est très simple. Je suis allé le voir en lui disant que je voulais faire un film sur lui. Il m'a dit «Pourquoi?» Alors je lui ai dit qu'en France, on va avoir une présidente, Marine Le Pen, qui a exactement vos idées sur les Musulmans, qui va appliquer des lois, et nous on veut savoir comment vous êtes arrivés à faire voter ces lois anti-musulmans, car il y en avait au moins trois au quatre qui sont passées. On voudrait avoir votre sentiment là-dessus, ça pourrait intéresser beaucoup le public français. C'est avec cet angle-là que je l'ai approché et il savait qu'il parlait à un public français dans lequel il y avait beaucoup de gens qui avaient l'intention de voter pour Marie Le Pen.

Bien sûr, l'autre chose que je fais, c'est que je laisse les gens parler. Je les encourage à parler. Je ne les juge jamais. Je n'essaye pas du tout de faire ce que tous les journalistes font quand ils interviews Wirathu, de lui dire «Mais vous n'avez pas honte, mais est-ce que vous, vous rendez compte de ce que vous créé?» De toute façon, il a des réponses toutes prêtes, il ne répondra jamais à ce genre de questions-là. Donc il faut au contraire lui dire «Mais expliquez-moi, ça m'intéresse, je vous écoute».

Sans nécessairement parler de questions éthiques, vous aviez des questionnements moraux sur le sujet? Par exemple, sur ce qu'il faut montrer comme violence à l'écran?
Le minimum absolu. J'avais des tonnes d'images absolument épouvantables. On était malades dans la salle de montage avec tous les films qui avaient été faits par les gens eux-mêmes pendant tous les événements. C'est effrayant. Si vous lisez ce qui se passe en ce moment-là et que vous imaginez ça filmé, c'est l'horreur absolue. Je n'avais pas les horreurs comme celles qui venaient de se passer, mais quelque chose de très approchant. Bien entendu, on a éliminé presque tout. Mais ça aurait été bien malhonnête de ne pas garder deux ou trois petites touches pour donner une idée. Déjà, ces deux ou trois petites touches étaient suffisantes pour qu'on comprenne.

Il y a une scène terrifiante où le protagoniste montre une vidéo sur un viol et un meurtre et qu'il se met ensuite à rire. Cela donne froid dans le dos....
C'est son film à lui. C'est son fantasme de cinéaste et de producteur. Ça, c'est une des scènes clés du film, où tout d'un coup, le personnage principal du film vous montre le film qu'il a fait et dont il est très fier. Tout le monde dans la salle est évidemment horrifiés. Et il dit que c'est un film qui respecte réellement la vérité et qu'il a essayé de reconstruire à l'écran à partir de bases documentaires. C'est ça le comble de l'ironie. Ça l'air d'un mauvais film d'exploitation mais lui il dit que c'est tout documenté, c'est tout vrai. Alors c'est très ironique sur le cinéma, bien sûr.

Oui, tout à fait. C'est  intéressant que vous choisissez ce sujet-là, car dans la tête de plusieurs personnes, les moines bouddhistes sont des adeptes de non-violence. Par son discours, par ses actions, Ashin Wirathu fait totalement le contraire...
Oui. Il faut donc conclure que toutes les religions ont une part maudite. On dit souvent que le bouddhisme n'est pas une religion, que c'est une philosophie. Mais peut-être, peut-être qu'après avoir vu ce film, on peut se dire c'est une religion, c'est une chose humaine et comme toutes les choses humaines, le mal a sa place.

C'était prévu que ce film complète votre trilogie sur le mal?
L'idée de la trilogie est venue après que j'ai fait Amin Dada. Je me suis dit que ma technique qui m'est naturelle de ne pas vouloir juger les gens et de les faire parler marche formidablement, alors il faut absolument que je continue. J'ai eu beaucoup de projets documentaires qui n'ont pas tous marchés.

Comment percevez-vous la situation en Birmanie, avec la tragédie des Rohingyas? On peut parler de génocide, de nettoyage ethnique?
Évidemment que c'est un génocide, dans la mesure où un génocide n'est pas basé sur le nombre de morts. C'est basé sur toutes une successions de définitions et il y a la plupart des définitions du génocide qui sont déjà remplies. Si on veut être un peu timide, on peut parler de nettoyage ethnique. Mais ça peut se transformer en catastrophe humanitaire d'une seconde à l'autre, car on n'aide pas les Nations unies venir sur place, apporter de la nourriture aux quelques Rohingyas qui sont restés. Il y en a toujours qui essayent de fuir. Le choléra peut se déclencher parmi les réfugiés d'une seconde à l'autre. Donc il y aurait un nombre considérable de morts. On est dans une situation de crise absolument limite et il s'agit quand même d'une population d'un million de personnes. Ce n'est pas rien.

J'avais voulu m'intéresser à savoir comment le bouddhisme pouvait être mélangé à quelque chose comme ça et malheureusement, j'étais en avance. Le pire est arrivé. Et maintenant, il faut tout faire pour réparer cette chose. Mais on voit très bien que c'est devenu un jeu politique et que les Chinois ne sont pas du côté des Rohingyas. Ils ne pensent absolument pas aux Rohingyas d'abord. Ils pensent à leurs intérêts avec la Birmanie, au pétrole. Eux, ils veulent arranger les choses, pour pouvoir continuer à avoir leurs intérêts, mais ils ne veulent pas sauver les Rohingyas ou créer une situation qui permette aux Rohingyas de rentrer chez eux avec une protection armée des Nations unies, etc. Ce qu'on a fait au Kosovo. Une solution comme ça n'est pas encore en vue.

L'opinion face à Aung San Suu Kyi est vraiment à la baisse...
C'est une très triste histoire. Elle ne peut pas continuer à dire «Je fais ça pour éviter le pire, pour éviter un  coup d'État». Il y a un moment où elle doit faire un choix. Elle a visiblement fait le choix de défendre l'armée et les exactions de l'armée, de dire que les gens brûlent leurs propres maisons, que ce sont les militants Rohingyas qui tuent les gens et pas les militaires, que les militaires sont sans reproche et qu'il n'y a pas eu de viols. Tout ça c'est sur son site à elle, qui est directement supervisé par elle. Donc, il n'y a absolument aucune excuse pour qu'un prix Nobel de la paix se comporte comme ça.

L'excuse est toujours «C'est pour le bien du pays, c'est pour éviter une catastrophe». Et à force de vouloir éviter une catastrophe, on est en plein dedans.

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