Fable bucolique sur les vieux couples et la retraite, Peindre ou
faire l’amour s’envole sur le vent de la légèreté et de la bonne humeur. Une
œuvre bohème tout simplement irrésistible qui mérite amplement le détour.
Au Festival de Cannes de 2005, il n’y avait que des poids lourds.
Jarmusch, Egoyan, Cronenberg, Von Trier, Dardenne et bien plus encore. Voilà
peut-être ce qui explique le peu d’intérêt porté à l'essai des frères (eh oui,
encore) Arnaud et Jean-Marie Larrieu. En apparence ludique, Peindre ou faire l’amour pose des questions très pertinentes sur la lassitude et le
passage du temps qui guettent les amoureux.
William (Daniel Auteuil) vient de prendre sa
retraite. Cet ancien météorologue se laisse convaincre par son épouse Madeleine
(Sabine Azema), une passionnée de la peinture, d’acheter une vieille maison
isolée. Tout va à la merveille chez ces deux êtres unis. Au fil des rencontres,
ils deviennent de plus en plus fascinés par leurs nouveaux voisins : un
aveugle sympathique (Sergi Lopez) et sa jeune compagne (Amira Casar). À un tel
point que les inhibitions risquent de disparaître, ce qui pourrait laisser
plusieurs personnes mal à l’aise.
Nombreux sont les films qui parlent du démon du midi, mais rares sont ceux qui s’intéressent à
la problématique du couple. Même si celui-ci est fidèle, un certain
essoufflement peut survenir après des dizaines années de mariage. L’amour,
toujours présent, prend souvent une autre forme, plus près de la tendresse que
de la fusion. C’est cette délicate thématique que traite cette œuvre très jolie
et souvent fort drôle, qui surprend à de multiples occasions. À commencer par
la présence de maintes métaphores. Les allusions à la température par un ancien
professionnel du temps, la maison qui demeure belle même si elle est vielle
porte un écho sincère et virulent à ce magnifique duo principal qui mûri
incroyablement bien.
Au passage, difficile de ne pas être ravi par la fraîcheur des
interprètes. Sabine Azema resplendit de tous ses charmes avec son merveilleux sourire.
Daniel Auteuil est égal à lui-même (c'est-à-dire convaincant) pendant qu’Amira
Casar parvient généralement à faire oublier ce gros nanar qu’était Anatomie de l’enfer. Même Sergi Lopez,
habitué au rôle de salaud depuis le mémorable Harry, un ami qui vous veut du bien, arrive à étonner par sa
gentillesse qui se dévoile très progressivement. Un quatuor jouant des cordes,
se séduisant au passage pour mieux revenir à la réalité qui n’est, finalement,
qu’un exutoire des fantasmes.
Le tout est entouré de vieux succès très bien intégrés (Jacques Brel, Léo
Ferré sur des vers d’Aragon, la pièce Nature Boy) et d’une fine trame sonore instrumentale
de Philippe Katerine, qui défend également un personnage secondaire. Cette
musique simple crée rapidement des effets secondaires jouissifs et comme ce
chanteur d’exception avait déjà travaillé sur Un Homme, un vrai, la première fiction du duo Larrieu, il était
tout à fait à l’aise dans leur univers. L’utilisation fort appropriée des
différents haut-parleurs est également révélatrice de la nature des liens
complexes entre les protagonistes. Le vent, des hiboux, des flammes : il
est tout à fait possible de se fermer les yeux et de « voir » ces
êtres évoluer. Ce son toujours à la hauteur se dérobe au contact des voix, très
bien calibrées. Film de dialogues, les mots prennent toute la place. La
présence de sous-titres anglophones blancs ne rend pas toujours hommage à cette
belle langue, surtout que l’écriture n’est guère évidente à déchiffrer.
Au même tire que les deux couples, les images sont une base primordiale
du récit. Les paysages extérieurs sont resplendissants, les Alpes affichant une
source d’inspiration sans borne au personnage de Madeleine, une peintre qui ne
montrera finalement aucune de ses créations. La vieille maison tombant en ruine
est également séduisante et englobante, figure de solidité nécessitant des
soins attentifs pour perdurer. Le rôle de la noirceur est vital pour alimenter
certaines scènes. Non seulement le parallèle au non-voyant est évident, mais
cette obscurité envahis physiquement et mentalement les différents individus.
Cette pénombre aurait pu faire soupirer, elle finit par être drôle et même
nécessaire. Ce noir ambiant ressort convenablement. Les couleurs ne sont jamais
trop sombres, les contrastes sont tout à fait pertinents. Il faut également
noter ce jeu sur les ombres, le recourt au crépuscule, baignant des séquences
dans l’onirisme. Un visuel séduisant qui n’est pourtant pas parfait.
En évitant de trop surcharger les émotions ou même la réalisation,
Arnaud et Jean-Marie Larrieu ont pris le pari de garder le récit au niveau de
la simplicité. Les doutes, les instants de bonheur, le cynisme est relégué aux
oubliettes pour laisser transcender la pureté, la vérité. Sans rien laisser
présager, Peindre ou faire l’amour
est un pari irrésistible sur la vie, qui risque de faire discuter énormément
dans les chaumières par ses propositions anticonformistes. ***1/2
Ce soir à la Cinémathèque québécoise.