À une oeuvre malade et complètement cinglée, comme si Christopher Nolan a voulu parodier sa filmographie entière, et Inception en particulier. D'un concept d'inversion du temps qui n'est pas sans rappeler celui de Terminator et Minority Report, le cinéaste s'est amusé à tout complexifier à outrance... ou de donner l'impression de rendre abscons ce qui est simple. Finalement, il a réalisé sa version de James Bond et Mission: Impossible en respectant ses conventions et ses clichés, développant une intrigue rocambolesque en les remplissant, volontairement ou pas, de ses propres tics. On ne compte plus les bavardes scènes de marches dans la ville où un personnage explique à notre héros ce qui se passe et ce qu'il doit faire. Comme toujours c'est lourd, sans subtilité, l'émotion est absente, le rôle de la femme en enragera plus d'un et les personnages monolithiques déambulent sur l'échiquier comme des simples pions, leurs interprètes forçant généralement la dose (Kenneth Branagh se prend pour Herzog, Robert Pattinson ressemble de plus en plus à une version angélique de Klaus Kinski, John David Washington a déjà paru plus expressif, etc.).
On imagine déjà le cinéphile vouloir revoir encore et encore ce long métrage soit-disant cérébral, pour en extraire une thèse de philo métaphysique afin de rendre limpide les tenants et aboutissants. C'est pourtant le contraire qu'il faut faire. Le scénario est tellement tarabiscoté, construit comme un vulgaire palindrome (comme le titre du film, Tenet, qui se lit dans les deux sens), qu'il faut seulement se jeter dans le vide et goûter le cinéma avec un grand C, débarrassé de sa logique scénaristique (une histoire doit aller du point A au point B) ou celle, tout aussi chimérique, que c'est la «psychologie» des personnages qui fait toute la différence. Il n'y a pas de ça ici. Que des scènes d'action à couper le souffle (mais un poil moins spectaculaires que ce qui se retrouvait dans Dunkirk et les Batman), une succession de séquences (re)présentées à reculon, une musique omniprésente de Ludwig Göransson (encore là, tout en hommage à celles de Hans Zimmer), une photographie éblouissante de Hoyte van Hoytema et un montage renversant de Jennifer Lame. Et c'est déjà beaucoup. La technique viscérale est tellement puissante qu'on ne peut qu'adhérer à la proposition. On ne parle plus d'un film, mais d'un objet de cinéma, une expérience comme il s'en fait peu, à vivre sur grand écran et dans une salle IMAX si possible.
Comme Inception avant lui, Tenet n'est pas tant un suspense d'espionnage qu'une oeuvre sur le cinéma. L'opus grandiloquent d'un génie conscient de son talent, d'un prestidigitateur (The Prestige?) qui se plait à manipuler son public afin de rappeler le pouvoir infini de son médium. Peu importe le titre du projet, c'est Christopher Nolan qui en est la vedette, le Protagoniste, pour le meilleur comme pour le pire. Celui-là même qui est parvenu depuis plus d'une décennie à faire rimer film populaire avec film d'auteur. Est-ce qu'il y a quelqu'un d'autre que lui, à Hollywood ou ailleurs, capable d'obtenir un budget de 250 millions de dollars et d'en faire qu'à sa tête, au sein d'une superproduction qui n'est ni une suite, un remake ou une variation sous fond de super-héros? Le tout en proposant une trame narrative nébuleuse qui ne ressemble à rien d'autre et qui s'écarte constamment des chemins formatés afin d'explorer encore et encore? Le résultat, à la fois fascinant et royalement dingue, foudroyant de virtuosité visuelle, divertit allègrement et fait rire haut la main... surtout si l'on ne prend pas tout au pied de la lettre. C'est là qu'on découvre, entre maints clins d'oeil (de North by Northwest à Casablanca) qu'il ne s'agit, en fin de compte, qu'un simple remake de Memento, sans doute le meilleur film en carrière de son metteur en scène.
Difficile à dire si Tenet sauvera le cinéma. Mais entre ce type de production ambitieuse, imparfaite mais qui ose tellement de choses en rappelant l'essence même de son art, que de simples téléfilms qui sortent chaque semaine sur Netflix et compagnie en donnant toujours tout cuit dans le bec à son public (sauf exception, évidemment), Nolan aura toujours préséance, même si l'on trouve - à raison - son style pompeux et prétentieux. Surtout qu'on pourra voir, dans ce cas-ci, comment il tente déjà de remonter le temps de la pandémie en dotant ses héros de masques et d'une mission de sauver la planète...
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