Le tandem le plus
mordant du cinéma français offre Parlez-moi
de la pluie, une fantaisie illuminée intelligemment écrite qui se moque de
tout et de rien. Peut-être pas un grand crû dans la filmographie d’Agnès Jaoui
et de Jean-Pierre Bacri, mais néanmoins un petit film léger et ultra
sympathique pour égayer les journées plus grises.
La plume de
Jean-Pierre Bacri et d’Agnès Jaoui est certainement une des plus affûtée de
France. Elle est généralement juste et hilarante, sarcastique et brillante. Grâce
à leurs mots, Alain Resnais a pu remettre un peu de pimpant dans sa carrière
(notamment grâce à son éblouissant diptyque Smoking/No
Smoking et au tordant On
connaît la chanson) et Cédric Klapisch a accouché de son meilleur film (Un air de famille) en carrière. Ce
n’était qu’une question de temps avant que ce couple qui n’en est plus un se
retrouve derrière la caméra. Tout d’abord avec l’inoubliable Le goût des autres, puis le vigoureux Comme une image: deux œuvres marquantes
dont la suite est attendue avec impatience. C’est là que débarque Parlez-moi de la pluie, un récit
beaucoup plus simple et linéaire qui, sans rivaliser avec les précédents
ouvrages, s’avère nettement plus pertinent que la majorité des longs-métrages à
l’eau de rose.
Agathe (Jaoui) est
une féministe qui vient de se lancer en politique. De retour dans la maison de
ses parents, elle retrouve sa sœur Florence (Pascale Arbillot) qui vit un
mariage difficile. Karim (Jamel Debbouze) est un ami de la famille et il
prépare un documentaire sur Agathe. Sauf que ni lui ni son ami Michel (Bacri)
ne savent réellement respecter un échéancier. Au gré des jours de tournage, ils
se laisseront tous envahir par les tracas du quotidien qui risquent parfois
d’avoir le dernier mot.
En digne héritier
de Michel Audiard, le scénario finement ficelé par Bacri et Jaoui fait
instantanément réagir tout en demeurant en phase avec les obsessions de leurs
auteurs. Encore une fois, il est inutile de mélanger les classes sociales. Les
riches restent avec les riches, les pauvres avec les pauvres, les gens de
cinéma ne fréquentent que des personnes de leur propre milieu, etc. Ce
leitmotiv est toujours accompagné de personnages en plein quête identitaire qui
sont souvent disposés à sacrifier leur relation amoureuse et amicale pour vivre
réellement, retrouver le grand amour ou faire quelque chose de leurs dix
doigts.
Ces thèmes qui
laissent toute la latitude nécessaire aux dialogues humoristiques et aux
réparties cyniques sont ici relevés par de nouveaux défis. Le duo s’attaque au
sort des femmes en politique et leur constat ne manque de clairvoyance. Il
décide au passage de confronter une bourgeoisie huppée à une servante
immigrante moins fortunée qui fait écho à la domination sous-entendue de la
France sur l’Algérie qui s’exprime par un racisme latent. Ces nouveaux pôles de
bataille ne sont toutefois pas parfaits. La charge est un peu grosse et elle
manque parfois de subtilité. Ce ton peut même être moralisateur et il l’est.
Comme les précédents opus de l’inséparable duo, Parlez-moi de la pluie continue de traiter des malaises de société
en emplissant constamment le silence de bruits où personne ne s’écoute et
personne ne se comprend. Cette fois, le résultat est plus gris que noir, et ce
sont les êtres humains qui sont au centre de l’échiquier avec leurs gaucheries
et leurs raisonnements parfois tendancieux où le sentimentalisme ne prend pas
trop de place.
Les facéties des
comédiens, toujours parsemées de clins d’œil et d’imposantes prestances
physiques, semblent reprendre leurs propres stéréotypes, si ce n’est que pour les
amener ailleurs. Jean-Pierre Bacri est encore ce gros nounours en mal de
câlins. Cette figure à sens unique est cependant teintée d’une vulnérabilité à
fleur de peau qui fait instantanément sourire. Un constat similaire chez la
réalisatrice et actrice qui, dans un premier temps, pourra en énerver plus d’un
avec son caractère inquisiteur. C’est pour mieux cacher de subtiles lésions
sous-jacentes. Le nouveau venu dans cette famille est Jamel Debbouze qui
détonne légèrement avec l’ensemble, demeurant sur le qui-vive, attendant le
moment précis pour se mettre en valeur. Le reste de la distribution ravit par
son mélange de réalisme et de pathétisme qui demeure constamment dans le ton.
La pire erreur est
d’avoir des attentes envers Parlez-moi de
la pluie. Malgré ses dialogues caustiques, ses personnages savoureux et son
humour qui fait souvent mouche, ce n’est ni Le goût des autres ni Comme une image. Il s’agit plutôt d’un essai
tendre, gentil et oubliable qui, en revanche, possède beaucoup plus de contenu
que de nombreux longs-métrages traitant de sujets similaires. Les admirateurs
de Bacri et de Jaoui seront peut-être déçus d’une telle simplicité et de ces
discours parfois moralisateurs. Mais depuis quand des cinéastes accomplis accouchent à chaque fois de films
majeurs ? ***