En 2005, Bernard Émond débutait sa trilogie sur les vertus théologales
en s’attaquant à la Foi avec son magnifique La
Neuvaine, peut-être le meilleur film québécois du nouveau millénaire.
Malgré le succès critique et de nombreux prix remportés, l’oeuvre est restée
dans l’ombre du populaire C.R.A.Z.Y.
Deux années plus tard, le cinéaste de La
Femme qui boit obtient une douce revanche. Non seulement son très beau Contre toute espérance s’avère un peu
plus accessible, mais il n’y a pas de compétiteur sérieux pour lui porter
préjudice.
Réjeanne (Guylaine Tremblay) est éprouvée par le destin. La maladie
touche son mari Gilles (Guy Jodoin) et il est incapable de s’en remettre. Les
restructurations économiques font perdre des emplois et le couple doit bientôt
vendre leur nouvelle maison et déménager à Montréal. Au grand désarroi de leur
vaillant ami Claude (Gildor Roy), Réjeanne et Gilles commencent à sombrer dans le mutisme
et la résignation. Jusqu’au jour où l’épouse est retrouvée les mains
ensanglantées et que le lieutenant Allard (René-Daniel Dubois) décide de mener
une enquête…
Comme c’est également le cas de sa conjointe Catherine Martin, le cinéma
de Bernard Émond est loin d’être évident. Tout en noirceur, en lenteur et en
subtilité, il dépouille l’âme humaine en montrant ses peurs, ses craintes, mais
surtout ses combats et ses espoirs. Le Kieslowski québécois n’a que faire de la
comédie (il y a pourtant quelques touches d’humour) ou de l’action bas de
gamme. Il perce plutôt au plus profond des êtres, ressortant au passage ce qui
est beau et ce qui l’est moins.
Contrairement à La Neuvaine, Contre toute espérance se veut beaucoup
moins mystique et religieux. Le sacré rode en soutane sans jamais véritablement
se matérialiser complètement. Il n’est que théorie ou croyance, un remède
possible et envisageable devant tant de maux. L’histoire, somme toute banale,
éclate l’espace temporel, alternant entre le passé et le présent. Le sujet est
universel, sans frontière et la souffrance très contemporaine fait écho aux
Grecs de l’Antiquité.
Le réalisateur transcende le particulier pour pourfendre le général. En
s’attaquant aux effets de la mondialisation (performance vs délicatesse, robot
vs raison), avec un regard acerbe, sa charge ne risque pas de passer inaperçue.
Pourtant, Émond n’y est pas aussi à l’aise qu’en décrivant le douloureux
passage du temps, de la pitié qui affaiblit l'être, de la rage face à la
classe dominante, de la maladie qui n’épargne personne. Le ton morose, triste à
mourir, évite généralement le misérabilisme grâce à quelques moments de
sérénité, comme cette envolée d’oiseaux (un thème récurent chez l’auteur),
cette chasse bâclée et ces souvenirs joyeux.
L’homme derrière le solide 20h17 Rue Darling renoue avec Guylaine Tremblay en lui offrant son
meilleur rôle en carrière. L’actrice, déjà excellente dans Mariages, arrive parfaitement à transmettre une gamme complexe
d’émotions, de la frayeur à la joie en passant par la lassitude et, surtout, le
sentiment d’être véritablement amoureuse. Ses yeux, dans le clair-obscur de
Jean-Claude Labrecque et bercés par les puissants airs musicaux de Robert
Marcel Lepage, s’avèrent plus révélateurs que tous les mots possibles et
inimaginables. La surprise est encore plus grande du côté de Guy Jodoin,
souvent pénible et embarrassant à la télévision (à l’exception du tordant Rumeurs). Il se terre derrière un
personnage limité physiquement qui ne possède pas toutes les munitions
nécessaires pour gagner sa guerre. Aucune mimique, aucune facilité de son côté. Entre ces deux amoureux maudits se
trouve Gildor Roy, figure positive et énergique. Il encourage les deux anti-héros
à se battre et sa dévotion est totale.
Sans doute moins puissant que La
Neuvaine mais tout aussi déchirant, Contre
toute espérance fait souffrir en silence. Le regard sur le monde et
l’importance des valeurs risque même d’en être altéré. À voir et à revoir... et pourquoi pas en cette journée de fête nationale? ****