De nos jours, les chefs-d’œuvre cinématographiques sont rares. L’année
dernière, il y a eu «The Tree of Life», et possiblement «Shame» et «Une
séparation». Trois films sur une possibilité de plusieurs centaines, presque un
millier. Il faut maintenant rajouter à cette liste très restreinte
l’inoubliable «Le cheval de Turin» du grand cinéaste hongrois Béla Tarr.
Présenté en octobre dernier au Festival du nouveau cinéma, «Le cheval de
Turin» est le type de long métrage qui souffle tout sur son passage. Même si la
prémisse s’approprie à nouveau le thème de la fin du monde, le résultat va
beaucoup plus loin que tous les «Take Shelter» et «Melancholia» de ce monde. La
pièce d’orfèvre se rapproche plutôt du travail d’un Andreï Tarkovski ou d’un
Ingmar Bergman, prenant grand soin de posséder sa propre identité propre.
Au demeurant, il ne faut pas se décourager par la matière première qui
pourrait paraître lourde, opaque et maniérée. «Le cheval de Turin» est un long
film, de près de deux heures et trente minutes. Il est en noir et blanc,
sous-titré, avec un style lent, un montage volontairement répétitif et très peu
de dialogues. De quoi faire peur à tous les amateurs de «Battleship». Pourtant,
en y laissant une chance, on en ressort avec une des plus belles expériences
cinématographiques de tous les temps.
Dès les premières minutes, le cinéphile est fasciné et médusé par ce qui
arrive à l’écran. La caméra suit pendant un très long plan séquence un cheval
qui tire un chariot. La musique glace le sang, les yeux sont éberlués par la
beauté de la photographie. Bienvenue dans l’univers unique de Béla Tarr. Son
style est reconnaissable entre tous et même si les sujets de ses opus peuvent
se ressembler, il vient de signer là la pièce maîtresse de sa filmographie (à
égalité avec son mythique «Le tango de Satan» et ses sept heures sang longueur).
Pas surprenant qu’il ait annoncé que ce sera son dernier film. Il est
impossible et impensable d’accoucher de quelque chose de plus beau et de plus
puissant.
L’histoire est simple comme l’eau qui coule mais complexe comme l’âme
humaine. On y suit les derniers jours d’un couple qui s’est réfugié à la campagne.
Les journées se suivent, entre l’errance dans la maison, quelques sorties à
l’extérieur et le repas avec des patates. Cette redondance volontaire est sans
cesse filmée d’une façon nouvelle, opérant à une logique propre et interne. Le
cinéaste change constamment de cadres, jouant des contrastes, se rapprochant ou
s’éloignant de ses personnages. Une démarche rigoureuse qui pourrait s’analyser
dans une thèse universitaire, mais qui ne mérite pas nécessairement une
intellectualisation à outrance pour y prendre son pied.
Comme chez Dostoïevski, le chemin de croix de ces êtres perdus en dit
long sur le genre humain. Lorsqu’on est en mesure de cerner les intentions de
l’auteur, il fait apparaître des séquences troublantes et déstabilisantes,
seulement pour rappeler que la vie est insaisissable. Bien que le quotidien
soit sombre, pour ne pas dire désespérant, la lumière n’a pas nécessairement
dit son dernier mot face à la noirceur et ce, malgré cette finale apocalyptique
– l’ombre de Nietzsche qui plane - qui est pratiquement sans espoir.
«Le cheval de Turin» est un véritable de tour de force. Visuellement et
musicalement, il ne s’est pratiquement rien fait de plus beau depuis le début
de la décennie. La réalisation est parfaitement maîtrisée, le scénario ne
manque pas de profondeur et un climat de mystère plane sur l’effort, donnant le
goût d’y revenir, encore et encore. L’intrigue pourrait paraître hermétique et
le traitement mérite peut-être un bagage de cinéphile qui est supérieur à la moyenne, sauf
qu’il est impossible de rester de marbre devant du cinéma à l’état pur qui
rappelle que le septième art est loin d’être mort.
5/5
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