Lorsque Juliette entre dans la vie de Perdrix, plus rien ne sera comme avant. C'est le postulat de départ de Perdrix (ma critique), le premier long métrage du réalisateur et scénariste Erwan Le Duc, que j'ai rencontré à Paris plus tôt cette année dans le cadre des Rendez-Vous d'Unifrance...
Quelles étaient les intentions de départ derrière votre film?
J'avais envie de quelque chose d'assez
joyeux. Une comédie qui part un peu dans tous les sens et qui déborde en
assumant que ça déborde. L'histoire d'amour était là aussi, mais un peu cachée.
Elle s'est imposée au fur et à mesure de l'écriture. Il y a un moment où j'ai
assumé que c'était un film d'amour, de grands sentiments. Mais ça pris un peu
de temps. Il fallait que je me libère d'un peu de pudeur.
Justement, c'est aisé de faire un film sur l'amour, qui est
probablement le thème le plus exploré au cinéma? Tomber dans le kitch semble si
aisé...
C'est ça qui me faisait peur. Ce
n'est pas un sujet. Ça parle de quoi? D'amour. Oui, mais bon, tous les films
parlent d'amour. Tout parle d'amour. Ça veut tout et rien dire. Et comment fait-on
pour le raconter autrement, pour que le film soit aussi singulier qu'on le
rêve? Je me suis dis que si je voulais traiter d'amour, il fallait vraiment que
j'en parle.
Il y a une scène dans le film où Juliette
interpelle Perdrix, quand il lui fait une déclaration, et elle lui dit «Pourquoi
l'amour?». Lui il esquive. C'était comme moi. C'est un peu ce qui s'est passé à
l'écriture. Un moment donné, il fallait que je le dise, l'écrive, le mettre noir
sur blanc. Prendre ce risque-là.
Après ce qui m'intéressait,
c'était de raconter ça sous différentes formes. L'amour est le thème principal
et il y a des variations sous des formes différentes. Il y a l'amour amoureux
comme le coup de foudre, l'amour filial et incapable d'un père pour sa fille,
l'amour éternel et gravé dans le marbre de leur mère pour son mari qui est mort
20 ans avant. Chaque personnage est traversé par ça et ces sentiments-là me servent
de base pour en aborder d'autres, pour questionner un peu tout le reste de
manière parfois ambiguë et ambivalente.
J'aime cette maxime dans le film: «Attrapez les choses comme elles se
passent». Comme quoi dans la vie il ne faut pas trop intellectualiser ce qui se
passe.
En tout cas, ce n'est pas du tout
ce que pense le personnage principal au début. Mais justement, c'est un peu le
trajet qu'il fait: d'être capable de se libérer et de retrouver une manière de
vivre au présent, de ne pas être tout le temps à distance.
C'est aussi la question de la
légèreté. Je voulais que le film, dans sa forme et son rythme, soit assez
rapide, tendu, toujours un peu virevoltant. Alors qu'il y a beaucoup de thèmes,
de choses. On reproche souvent aux premiers films qu'ils débordent, qu'on met
trop de choses. Moi j'ai voulu mettre trop de choses. Et on va quand même
essayer de faire quelque chose de léger avec ce trop de choses. En assumant ça.
En gardant toujours à l'esprit que ça devait être solaire, léger, rapide,
ludique. Que dans la même scène, on puisse avoir un questionnement existentiel
un peu abyssal et que ça se termine avec un gag débile.
L'humour est pétillant, absurde, au sein d'un récit volontairement
étrange et imprévisible. Tu sens que ce style vient de ta personnalité ou il
s'est développé à force d'écrire et de travailler?
C'est un peu des deux. C'est vrai
que le scénario, je l'ai travaillé pendant longtemps. Ce fut assez ingrat. C'est
un film qui n'a pas été facile à financer en France. Parce qu'il sort un peu
des cases habituelles et je ne voulais pas qu'il entre dans une case. (rires)
Donc je ne voulais pas me plier à ça.
Pour moi, le défi du tournage,
c'est de tout remettre en cause au moment où la caméra tourne. Cette urgence
peut être paralysante mais elle est aussi un vrai bonheur créatif. Et ça, je
crois que ça dépend beaucoup aussi par qui on est entouré...
Chaque acteur va amener sa
singularité qui va provoquer quelque chose. Je pense que c'est ce qui donne son
énergie au film. L'idée c'est de partir de quelque chose de prévu et idéalement
d'inventer autre chose qui ne l'est pas. Donc de capter ce moment éphémère de
l'invention. Ça c'est un dialogue entre moi ce que je propose avec mon scénario
et la mise en scène, et eux ce que les acteurs inventent avec ça. Je filme ce
qu'ils inventent avec mon scénario.
Comment faire exister le comique et l'émotion? Aller chercher la
sincérité alors que les situations loufoques mènent le bal? Faire coexister le
sensible, le poétique, le surréalisme et une forme de réalisme?
C'est une très bonne question,
que je me suis posée tout le long de la fabrication. Il fallait trouver cet
équilibre entre quelque chose de farfelu, virevoltant, qui part un peu dans
tous les sens et de raconter une histoire, des personnages, donc d'être au plus
près de leurs émotions à eux. L'enjeu était de trouver cet équilibre entre les
deux pour que le film puisse marcher sur ses deux jambes, à la fois un monde un
peu particulier et des émotions et des personnages très universels qui puissent
parler à tout le monde.
Le travail du montage a été
important sur le rythme, pour trouver cet équilibre-là et faire des choix qui
soient cohérents, que l'émotion soit la règle première du film. Ma monteuse a
trois règles. Pour elle, le montage c'est l'émotion, l'émotion et l'émotion.
Vous avez été journaliste, tâté un peu la politique. Comment vous, vous
êtes retrouvés à être réalisateur?
Quand j'étais adolescent, je
voulais faire du cinéma. Je faisais des petits films avec des copains, avec la
caméra vidéo 8 de mes parents que je les avais obligé d'acheter pour Noël. Je
faisais ça en amateur. Après, j'ai fait d'autres études. Je ne connaissais pas
l'existence des études de cinéma. Ma famille ne venait pas de là. J'ai fait
d'autres métiers, du journalisme, j'ai travaillé aussi pour le ministère des
affaires étrangères, au ministère de la culture.
Sauf que 10 ans après, j'avais
toujours envie de faire du cinéma. J'ai commencé à écrire des scénarios pour
d'autres réalisateurs. Puis un jour, j'ai décidé d'en écrire un pour moi et
j'ai fait un premier court métrage. Comme je n'avais pas fait d'école de cinéma
non plus, j'apprenais en le faisant. Donc j'ai fait les courts métrages pendant
mes vacances, puisque j'était salarié journaliste. J'essayais d'en faire un par
an, pour apprendre. Et j'apprenais à chaque fois plus...
J'ai eu la chance que le film a
pu exister et que ça s'est bien passé, puisque c'était presque comme un rêve
avec la sélection à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs, la sortie en France
s'est bien passée. C'est très joyeux.
Mais ça rejoint un peu le
personnage de Pierre Perdrix. C'est ce que lui dit sa mère au début: «Est-ce
que la vie que vous vivez est vraiment la vôtre?». Pendant longtemps, j'avais
l'impression que ce n'était pas le cas. J'avais l'impression de devoir attendre
un peu avant d'assumer que je voulais faire des films. Que je devais gagner ma
vie autrement en apprenant autre chose. Sauf que finalement, il fallait aussi
faire des efforts et sacrifier des choses pour que d'autres adviennent, pour
que je puisse enfin exaucer mon rêve et faire du cinéma.
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