The Wrestler de Darren Aronofsky offre un
retour inespéré : celui de Mickey Rourke dans l’arène du septième art.
L’ancien comédien qui a longtemps été comparé à Marlon Brando et à Robert De
Niro trouve son plus beau rôle en carrière dans un long métrage aussi incisif
qu’un uppercut.
Il est toujours difficile d’innover dans le récit de lutte ou de boxe.
Soit le héros est un jeune premier qui grandira au contact d’un entraîneur
aguerri, soit il est une ancienne vedette sur le déclin qui cherche à redorer
son blason. The Ram (Rourke) fait partie de la seconde catégorie. Icône des
petits et des grands dans les années 1980, ce lutteur à la tignasse dorée
aimerait donner un sens à son existence. Pour y arriver, il reprend
l’entraînement et les affrontements malgré un cœur défaillant, désirant du même
coup se rapprocher de sa fille (Evan Rachel Wood). Lors de ses combats
quotidiens, il peut néanmoins compter sur Cassidy (Marisa Tomei), une
strip-teaseuse qui désire ardemment changer de peau.
Pour plusieurs cinéphiles, le cinéaste Darren Aronofsky sera le prochain
Stanley Kubrick. Le metteur en scène est réputé pour la perfection de ses plans
et sa rigoureuse direction d’acteurs. Dès son premier opus Pi en noir et
blanc, les comparaisons entre les deux hommes fusent et ce n’est pas un hasard.
L’électrochoc est venu en 2000 avec la sortie du chef-d’œuvre en puissance Requiem for a Dream, probablement un des meilleurs films de la décennie. Ce
sommet encore inégalé chez le réalisateur américain a créé des attentes
incommensurables dont le prochain ouvrage ne pouvait que décevoir. Après une
attente infernale de six ans, The Fountain a été vilipendé à tort alors qu’il
s’agissait d’un magnifique pensum sur l’amour et le temps qui passe.
Pour se relever de ce faux pas qui n’en n’est pas vraiment un, n’importe
qui aurait été dans la direction opposée. Contrairement à ses précédents
essais, The Wrestler s’éloigne des exercices de style, du montage
apocalyptique et des plans léchés qui ont fait la marque de commerce
d’Aronofsky. Le traitement naturaliste rappelle plutôt le Dogme et le cinéma des
frères Dardenne, avec cette omniprésence du grain et cette caméra tremblante
qui se colle sur la sueur du protagoniste. Le réalisme est de tous les
instants, chavirant l’estomac lors de séquences difficiles où le sang et la
douleur se mélangent.
À priori, l’histoire ne casse rien. C’est le retour à la vie du phœnix,
une romance amoureuse entre deux laissés-pour-compte et une escapade dans le
temps où un homme apprend à être père sur le tard. Ce schéma parsemé de hauts
et de bas à la finale bouleversante mais attendue bénéficie cependant d’un
scénario intelligent où des séquences drôles et surprenantes s’attardent au
pathétisme de cet ancien lutteur. Cette figure imposante – et celle de la
danseuse – représentent la dépendance et la déchéance si chères au réalisateur.
C’est le sacrifice du présent pour faire revivre un passé troqué, un suicide à
petit feu pour s’approcher d’une sérénité qui sera presque impossible à
atteindre.
Le rêve américain en prend donc pour son rhume dans cet anti-Rocky plus
engagé qu’il en a l’air. Ces gloires d’hier personnifiant les États-Unis ne
font tout simplement plus le poids dans la dure réalité astreignante du
quotidien. Pour évoluer et continuer, il faut accepter l’état des choses et ne
pas faire l’autruche, une maxime que ne mettent nullement en pratique les anti-héros,
rapprochant nettement ce film d’exception de Million Dollar Baby et de Raging Bull et non de The Hurricane et Cinderella Man.
De ce portrait sombre d’un pays sans repère émane Mickey Rourke dont la
carrière se superpose étrangement au destin de son personnage, devenant la
principale raison de payer son prix d’entrée. Il est tout simplement parfait
avec ses mimiques attendrissantes et son corps parsemés de cicatrices. Sa
relation avec l’aussi touchante et crédible Marisa Tomei amène une dimension
tragique et humaine à l’ensemble.
Du mythe des lutteurs naît la normalité, souvent triste et amère, qui
engendre une soif de reconnaissances, des efforts inestimables pour une
existence meilleure. Ces sacrifices se font vers les promesses de beaux
lendemains ou les rêves antérieurs, condamnant ou sauvant le présent. Une fascinante
plongée dans la condition humaine d’un univers impitoyable en compagnie de deux
magnifiques acteurs et d’un réalisateur chevronné qui ne craint pas de toucher
à tous les genres. ****
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