(Paris) Dans son nouveau film Fête de famille, Cédric Kahn réunit une distribution cinq étoiles - Catherine Deneuve, Emmanuelle Bercot, Vincent Macaigne - autour d'une réunion familiale qui tourne évidemment mal. Surtout lorsque la maladie mentale se mêle de la partie.
J'ai pu m'entretenir avec le réalisateur de Roberto Succo et Feux rouges dans le cadre des plus récents Rendez-vous du cinéma français à Paris...
Pourquoi vous avez décidé de faire ce long métrage?
Hahaha! Tout le monde me pose
cette question pour commencer. Mais c'est difficile comme question. C'est
tellement large. C'est toute une vie pour arriver à chaque film. Je ne sais
pas. Je voulais raconter cette histoire depuis longtemps, ça c'est sûr.
Vous renouez avec les scénaristes de votre précédent film La prière. Vous sentez une énergie
renouvelée en retravaillant avec eux?
Oui. La rencontre avec eux m'a un
peu régénérée. Sur la question de confiance. Sur La prière, je leur ai beaucoup confié le scénario. Là, ça n'a rien
à voir. C'était une chose plus personnelle, que j'avais commencé à écrire seul,
et ils sont venus m'aider.
Lorsqu'on regarde votre filmographie, on vous imagine mal faire un film
comme Fête de famille, qui semble
moins brut que les précédents, plus bourgeois.
J'ai déjà entendu ça et je ne
comprends pas. D'abord, il faut que ça reste une aventure. Quand je fais La prière, filmer des catholiques qui
prient, c'est une aventure pour moi. Déjà, j'ai un goût de l'aventure. La chose
qui me fait le plus peur dans la vie, c'est l'ennui. Je veux des défis. C'est
vrai qu'il y avait des choses que je n'avais jamais faites sur Fête de famille.
Après, l'âpreté, je ne comprends
pas. Ce que je raconte dans le film est très âpre, très dur. C'est une sorte de
trompe-l'oeil. Ça démarre comme ça, c'est beau, la maison est magnifique, les
gens sont charmants et on va passer une belle journée. Mais ce n'est pas du
tout ça, le film. On voit cette famille s'enfoncer dans le problème et ne pas
avoir de solution.
Vous dîtes que c'est un film plus personnel...
C'est pour ça que je suis étonné.
C'est comme si j'avais fait un film extérieur à moi-même, alors que dans le
fond, c'est probablement le film le plus personnel que j'ai fait. Peut-être que
parce que c'est quelque chose de personnel, que j'ai voulu l'emballer dans
quelque chose de plus mainstream.
Et qu'est-ce qu'il y a de personnel dans cette histoire?
C'est comment la maladie mentale, la folie familiale agit. Il y a une personne qui est désignée comme fou et problématique. En fait, assez vite, on ne sait pas si c'est elle qui est folle ou tout le groupe. Je veux montrer comment tout ce groupe survit en désignant cette vie, comme elle l'accepte ou elle ne l'accepte pas. Pour moi, le noeud est là. Et cette famille survit par le mensonge. C'est une chose que je ressens et que j'ai vécue.
C'est comment la maladie mentale, la folie familiale agit. Il y a une personne qui est désignée comme fou et problématique. En fait, assez vite, on ne sait pas si c'est elle qui est folle ou tout le groupe. Je veux montrer comment tout ce groupe survit en désignant cette vie, comme elle l'accepte ou elle ne l'accepte pas. Pour moi, le noeud est là. Et cette famille survit par le mensonge. C'est une chose que je ressens et que j'ai vécue.
Il n'y a pas un peu des codes à respecter - ou à déjouer - lorsqu'on
fait des films sur la famille? Que l'on pense à Bergman, Un conte de Noël, Festen,
où tout passe par les secrets, les mensonges et les apparences? Ce passé qui
revient hanter. Avec évidemment Catherine Deneuve en matriarche. On peut également
penser à Cassavetes ou Tennessee Williams.
C'est un genre extrêmement
visité, ça je le savais. J'avais mes propres références. Je pensais beaucoup à Festen. Mais non, il fallait que je
trouve ma liberté. Je n'ai pas fait un film contre - ou avec - les autres.
J'avais cette chose-là à raconter sur la folie que je voulais absolument
raconter. Sur comment cette famille gère la folie d'une des leurs. Je me suis
juste concentré là-dessus.
On sent que le film est toujours en dualité entre le vrai et le faux,
le comique et le tragique, les bourgeois et les anti-conformistes. Cette
construction en miroir.
Ouais. C'est ça. Est-ce que la
famille est normale et elle est folle? Est-ce qu'elle est normale et c'est la
famille qui est folle? Chaque personnage a aussi sa propre dualité. Mon
personnage est très carré et en même temps, il est aussi totalement
obsessionnel et insupportable. La mère est victime du clan mais elle est aussi
la grande manipulatrice. Etc. Etc. Oui, c'est le sujet: c'est un film sur la
dualité. C'est pour ça qu'il n'est pas simple.
Je pense que les gens qui aiment
le film sont des gens qui aiment les choses un peu complexes. Qui acceptent de
voir le film sur des choses doubles. On a un visage social et même à
l'intérieur de la famille, on joue un rôle. On montre parfois son vrai visage
et on se bagarre avec ces deux énergies.
Comme toujours dans votre cinéma, les personnages sont en constantes
contradictions. On les aime et les déteste à la fois. Ils sont adorables avant
de tomber dans l'hystérie. Il doit y avoir un plaisir à explorer toutes les
extrémités du spectre humain...
Absolument. Après, ça serait
sûrement plus simple de faire des personnages plus simples. Je ferais sûrement
des films plus larges. Mais moi je vois les gens comme ça dans la vie. Ça
m'intéresse de voir la complexité des choses.
Par ailleurs, j'ai de la
tendresse pour les excès. Je n'aime pas forcément les gens qui sont
complètement contrôlés, lisses. Je peux avoir beaucoup d'empathie pour des gens
qui débordent. Ce sont probablement les gens qui m'intéressent le plus dans la
vie. Ceux qui ne contrôlent pas toutes leurs émotions.
On sent qu'ils vivent peut-être plus que les autres.
Oui. Et moi je suis comme ça. En
plein de moments, j'essaye de me retenir. Je me dis qu'il faut que je
maintienne le lien social. Mais il y a plein de moments, je me dis que si je me
retiens trop, tu es vieux. Ta vie est finie. Continue à vivre tes émotions. Ce
n'est pas seulement de les exprimer, mais c'est aussi de les vivre. Là par
exemple, je pourrais me lever et rentrer chez moi. (sourire)
Pourquoi avoir intégré dans le film différents récits de mises en
scène, que ce soit le film de Vincent Macaigne et la pièce de théâtre des
enfants?
Parce que c'est le point de vue,
en fait. J'aimais bien me déplacer dans cette histoire. Je mets en place un
dispositif dans cette famille. Finalement, ce qui était intéressant pour moi,
c'est que les membres de la famille sont tous dans la même histoire mais que
finalement, ils peuvent se raconter leur propre histoire.
On sent que les fictions qui sont en train de se créer leurs permettent
d'éviter de sombrer dans la folie...
Ça, c'est mon autre croyance. Je
pense que la fiction est la meilleure raison à la folie, à la souffrance, au
mal-être. Je pense que chacun a besoin de se créer sa fiction. Il y en a qui le
font en direct, dans la vie, en mentant. Comme la mère qui est toujours dans le
déni. Et il y en a d'autres qui ont besoin d'un support.
De quelles façons vous vouliez utiliser la musique, qui va de Mouloudji
à François Hardy, en passant par cette pièce rap?
Ce sont toutes des chansons
sentimentales, mais de générations différentes. Elles ont une symbolique
différente. La chanson de Mouloudji, c'est vraiment la chanson familiale. Celle
qu'écoutait les parents et qui relie les enfants. C'est comme un hymne de leur
enfance. Celle de François Hardy, c'est vraiment celle de l'héroïne, Emmanuelle
Bercot. Pour moi. c'est vraiment l'hymne de la mélancolie. Et le rap, c'est la
chanson de la nouvelle génération. Mais les chansons se parlent, elles
dialoguent entre elles.
À quand un musical comme chez Jacques Demy ou Alain Resnais?
J'adorerais faire un film en
chanson, où une grande partie des choses se disent en chansons. Surtout que
maintenant, j'aime la chanson française dans les films. Je n'aime plus du tout
entendre des chansons anglo-saxonnes dans des films français. Je trouve ça très
gênant et très dommage. Le répertoire français est tellement beau. Il y a
tellement de belles chansons et c'est triste qu'on ne s'approprie pas sa
culture.
Depuis sept ans avec Alyah,
on vous voit davantage comme acteur. Pourquoi vous avez continué? Car vous êtes
excellent dans L'économie du couple.
Vraiment, c'est chaque occasion.
Je refuse facilement les films comme acteur, mais je les accepte lorsque j'aime
le metteur en scène, le projet, les partenaires. J'accepte quand je n'ai
vraiment pas envie de dire non. C'est très spontané. Il n'y a pas de calcul.
Vous sentez que cela vous apporte quelque chose comme cinéaste?
C'est difficile à dire. Ça
m'apporte déjà d'être sur un plateau en étant plus léger que le metteur en
scène. J'ai déjà ce plaisir-là d'être joyeux sur un tournage. Alors que comme
metteur en scène, je suis soucieux.
Ça m'apporte également une
position très privilégiée pour regarder d'autres metteurs en scène travailler.
Avant de faire l'acteur, je n'en voyais pas des metteurs en scènes travailler.
Là, si. Et j'ai travaillé avec de bons metteurs en scène. Comme Cold War. C'était fantastique. Le rôle
n'était pas très intéressant. Mais j'ai passé des journées à côté de Pawel
(Pawlikowski). Je lui disais «je peux m'asseoir à côté de toi»? «Oui, pas de
problème.» Juste d'être là, c'était très beau de le voir construire son film.
C'est vraiment une place extraordinaire. Et c'est vraiment la meilleure place.
On est à l'intérieur du processus, on voit l'équipe, on voit tout.
J'aimais déjà travailler sur le
scénario des autres. J'aime bien le collectif, d'être dans l'oeuvre des autres.
Avant, je travaillais juste avec ma tête. Maintenant, en jouant, je me suis
réapproprié mon corps.
Quand je joue sur les films des
autres, j'essaye de ressentir ce que je fais. Je sens quand ce n'est pas bon.
Je ne sens pas forcément quand c'est bon, mais je sens quand ce n'est pas bon.
C'était simple de vous diriger vous-mêmes dans Fête de famille?
Je ne me suis pas vraiment
dirigé. Ce qui était simple, c'est que j'ai joué un texte que j'ai écrit
moi-même. Ça c'est plus simple que de jouer un texte écrit par quelqu'un
d'autre. Parce que c'est organique. Déjà, je n'avais pas de problème
d'apprentissage, car je savais le texte par coeur. Je me suis rendu compte que
quand je répétais avec les autres, je savais le texte de tout le monde.
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