vendredi 25 mars 2011
L'angle mort du scénariste
Une note reçue par Martin Girard, le «scénariste» d'Angle mort, qui montre que rien n'est simple au royaume de la création et de la mise en application d'un film.
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Le 25 février 2011, à la suite d’un imposant battage publicitaire, sortait dans les salles de cinéma le long métrage Angle mort, qui raconte le cauchemar d’un couple de touristes québécois pourchassé par un tueur en série dans un pays d’Amérique du Sud. Le film est réalisé par Dominic James et produit par la compagnie Caramel Films. Mon nom apparaît au générique de ce thriller à titre de scénariste. Or, si Angle mort raconte dans ses grandes lignes une histoire proche de celle que j’ai écrite, j’ai tout de même eu peine à y reconnaître mon travail lorsqu’on m’a montré le film terminé, quelques jours seulement avant sa première présentation publique.
Pour commencer, le contexte social, économique et géographique du scénario n’a pas été respecté. Cela peut sembler anodin, mais lorsque sur papier une intrigue se déroule dans un parc national désertique d’un pays développé et qu’à l’écran le désert devient tour à tour un village fantôme et un abattoir de cochons dans un pays sous-développé, le résultat n’est pas le même d’un point de vue dramatique et esthétique. En outre, lorsqu’une scène de suspense est conçue pour tirer parti de l’habitacle feutré d’une berline de luxe, mais que la scène est transposée à l’écran dans une Lada décrépite, elle risque d’y perdre en vraisemblance.
Ensuite, le film contient des scènes que je n’ai jamais écrites, notamment celles de la location de voiture, de l’arrivée du couple à l’hôtel suivie d’une relation sexuelle ou encore la fuite des époux dans la porcherie. On retrouve même dans ce film des personnages qui n’ont jamais existé sur papier, comme ceux joués par Claire Pimparé et Sophie Cadieux. Quant aux dialogues, pratiquement aucun n’est vraiment fidèle à ceux du scénario, dont il ne reste à l’écran que quelques bribes.
Par ailleurs, plusieurs scènes du scénario ont tout simplement disparu, comme par exemple toutes celles qui expliquent le passé et les motivations du tueur. D’autres ont été profondément transformées ou dénaturées, au point où elles n’ont plus, à mon avis, l’impact dramatique ou l’authenticité que j’avais souhaités.
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que certains de ces changements sont imputables à un manque de budget et à des conditions de tournage difficiles. De toute façon, il y a toujours des différences entre un scénario et le film qu’on en tire. Toutefois, les considérations budgétaires ou techniques ne peuvent pas tout expliquer, ni tout justifier. Réécrire au complet une scène de dialogue entre deux personnages attablés dans un restaurant, ça devient un choix créatif. Lorsque cette réécriture est faite sans en informer le scénariste et certainement sans obtenir son consentement, ça devient problématique. Surtout si le nouveau dialogue transforme les enjeux dramatiques prévus à l’origine dans le scénario.
Cette situation n’est pas la première du genre à survenir dans l’industrie du cinéma. Je crois pourtant nécessaire d’informer le public et mes pairs que ce film, peu importe ses qualités ou ses défauts, n’est pas celui que j’ai écrit.
Martin Girard
Scénariste
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