samedi 3 mai 2025

Entrevue: Patricia Mazuy (La prisonnière de Bordeaux)


Depuis la sortie de Peaux de vaches en 1989, Patricia Mazuy s'inscrit comme l'une des cinéastes les plus passionnantes de l'Hexagone, son art atteignant des sommets avec le délirant Paul Sanchez est revenu! (2018).

Dans La prisonnière de Bordeaux, elle s'intéresse à l'amitié entre deux femmes (Isabelle Huppert et Hafsia Herzi) d'origines différentes qui se rencontrent dans le parloir d'une prison. Discussion avec la réalisatrice lors de son passage à Montréal dans le cadre de Cinemania.

Tous les personnages semblent emprisonnés dans votre long métrage...

En effet. Les héroïnes ne sont pas derrière les barreaux, mais elles sont tout de même en prison. Il y a très peu de scènes extérieurs dans le film. C'est pour ça que j'aimais bien le titre. On sait qu'elles sont à Bordeaux, même si on ne voit jamais Bordeaux.

Le récit naît dans le réel pour transiter vers la fiction et le romanesque...

Oui. Plusieurs femmes qu'on voit dans le film sont des véritables femmes de parloir. Leur vitalité et leur résilience m'a aidé à entrer dans le film.

La prisonnière de Bordeaux pourrait être le miroir de votre précédent Bowling Saturne...

Tout à fait. Il a été fait avec la même équipe. On avait exploré la noirceur et la violence sur Bowling Saturne et là, je voulais explorer la lumière et la douceur.

Il s'agit d'une comédie dramatique à la Chabrol sur la bourgeoisie et les rapports de classes...

Notamment. Ce qui est marrant, c'est qu'il y a la femme de l'assassin et la femme du voleur. Et l'assassin est celui qui empile les tableaux et fait les investissements. C'était intéressant d'affronter le cliché de la bourgeoisie et de la mère courage des banlieues.

Face à l'adversité, les héroïnes décident de créer un cocon féminin, ce qui est beau et stimulant...

C'est une parenthèse d'amitié qui est presque de l'amour non sexuel très fort et qui va les porter toute leur vie. Le personnage d'Isabelle prend celui d'Hafsia chez elle parce qu'elle s'ennuie et qu'elle est dans le vide, mais leur relation est ultra sincère. C'est ça qui était flippant au tournage. Ça tiendra si on croît à leur amitié.

Les actrices font souvent le film...

J'avais déjà tourné avec Isabelle dans Saint-Cyr. Et Hafsia était incroyable dans Tu mérites un amour. Elle a pris cinq kilos pour mon film. J'avais envie de les filmer toutes les deux ensemble et de les mettre dans une voiture. Mais je n'ai pas vraiment pu le faire, car trois mois avant le tournage, j'ai appris à ma grande surprise qu'Isabelle n'avait pas le permis. Il y avait plein de scènes en voiture que j'ai dû abandonner. Elle a fait 300 films, mais elle n'a pas de permis de conduire!

Avec ce film, vous avez travaillé l'émotion et la comédie comme jamais auparavant...

Il fallait qu'il ait de l'émotion. Ce sont deux petits destins et deux femmes qui se transforment en héroïnes. Hafsia est de base très émouvante. Elle a une telle véracité intérieure. Là, on voulait que ça soit extériorisé plus que dans ses autres films. Je lui disais qu'elle devait jouer comme Marcello Mastroianni dans les comédies. Il fallait qu'elle soit burlesque. Alors qu'avec Isabelle, on est plus dans le registre du dialogue comique et de l'autodérision. Le défi pour elle, c'est d'être à la fois larguée, gentille et drôle.

À quoi ressemblent les influences du film?

J'ai beaucoup pensé à Break-up, érotisme et ballons rouges de Marco Ferreri. Il y a d'ailleurs un hommage. Ferreri m'a beaucoup aidé pour ce film. Il faisait des histoires fragiles et timbrées en même temps. C'est un film assez inconnu et Mastroianni est génial là-dedans!

Qu'est-ce que vous recherchez au cinéma?

Il y a plein de films qui m'emmerdent, car je vois comment ils vont se finir. Au cinéma, j'aime bien être cueillie. C'est ça le truc vivant qui reste, car il ne faut pas oublier que c'est une aventure.

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