Membre d'une organisation secrète qui traque les criminels de guerre, Hamid (Adam Bessa) se lance à la poursuite de son bourreau dans Les fantômes de Jonathan Millet, lauréat du prix Louis-Delluc du meilleur premier film. Je me suis entretenu avec le cinéaste lors de son passage à Montréal dans le cadre de Cinémania.
Vous pouvez me parler de votre parcours atypique? Seul avec votre
caméra, vous avez traversé et filmé dans une cinquantaine de pays...
Quand j'avais 18 ans, j'étais sûr que je voulais faire du cinéma. Les réalisateurs que j'aimais n'ont pas étudié le cinéma: ils ont tous creusé leurs propres voies pour amener qui ils étaient à l'intérieur du cinéma. J'avais envie de découvrir le monde et de me découvrir moi. Je suis parti seul avec ma caméra vers l'Est. J'ai fait des petits films pour des ONG, des images d'illustrations dans les pays fermés. Je devais raconter en un plan l'atmosphère d'un pays. Ce fut la meilleure école de cinéma.
Qu'est-ce qui vous a amené vers Les
fantômes?
C'est un film qui retrace mon parcours. Je suis resté très longtemps en Syrie. C'est un pays qui m'a donné envie de faire mes premiers documentaires sur la question de l'exil. J'ai commencé à écrire un documentaire sur les réfugiés de guerre et les traumas: ce qu'on garde au plus profond de son corps quand on vit une guerre, de la torture ou un deuil. Je voulais raconter cette invisibilité-là.
La forme du suspense paranoïaque s'est rapidement imposée?
Lorsque je vais au cinéma, j'ai envie d'être complètement emporté par un film. Je veux être bousculé, bouleversé, que les personnages vivent des grandes questions intenses. Quand un réfugié syrien a commencé à me raconter cette histoires, je me suis dit que je n'avais rien entendu d'aussi puissant et incroyable. Je voulais rendre hommage à l'héroïsme tragique de mes personnages.
Le film est particulièrement sensoriel, misant sur le hors champ afin
de participer à l'immersion en place...
Après trois années de recherches, j'avais des montagnes d'informations. Je pouvais écrire des livres théoriques dessus. Mais ce n'est pas du tout ce qui m'intéressait. Comme mon sujet principal est ce qui se passe dans le corps, les traumas, la manière qu'un simple bruit réveille des émotions, je me suis dit que ça devait être la ligne du film. Par le travail sur le son et le montage, on a essayé de provoquer chez le spectateur du ressenti physique pour que le film soit une réelle expérience.
Adam Bessa porte le film sur ses épaules. Il offre un jeu toute en subtilité et en non-dit. Tout se joue dans son regard, ses gestes, son calme douloureux...
C'était important d'avoir un visage neuf. Au départ, je voulais un comédien syrien, mais ceux que j'ai rencontré m'ont dit que c'était trop dangereux pour eux, car ils avaient toujours des proches au pays. J'ai fait un casting pendant un an dans tous les pays arabes et j'ai finalement rencontré Adam. J'ai senti qu'il avait l'intensité intérieure que je recherchais. Ce qui me faisait le plus peur dans toutes ces questions de torture et de souffrance, c'est que le comédien en fasse trop. Lui, au contraire, il pouvait complètement se retenir. Il a travaillé trois mois sur la langue et l'accent.
À quoi ressemblent vos films ou cinéastes de chevet?
Ce qui me parle, ce sont des cinéastes qui font des films qui ne ressemblent qu'à eux et qui nous surprennent. Ce qui m'ennuie au cinéma, ce sont les films qui sont tellement bien faits. J'ai envie d'un film escarpé, un peu audacieux. Des cinéastes comme Werner Herzog et Paul Thomas Anderson m'ont donné le goût de faire du cinéma.
Pour Les fantômes, j'ai vu beaucoup de films de type thriller ou d'espionnage. Je sentais bien qu'il y avait toujours des passages obligés, des scènes ou codes qui m'ennuyaient. Parfois, des réalisateurs s'emparaient de ça et ils faisaient des films uniques. Celui que j'ai le plus envie de citer est The Conversation de Coppola. Il fait quelque chose d'énorme avec une oeuvre très minimaliste. C'est un film de solitude et d'obsession qui est à la fois très personnel pour l'auteur et universel pour le spectateur.
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