mardi 5 septembre 2023

Film du jour: Career Girls


De films en films, le réalisateur anglais Mike Leigh aime explorer les relations qui se tissent entre différentes personnes marginalisées. Son cinéma social, réaliste et sans artifice, est un portrait doux-amer d’une certaine réalité, beaucoup plus rapproché de la classe ouvrière que des tralalas bourgeois. Même si « Career Girls » s’avère une œuvre assez mineure dans la filmographie d’un des plus grands cinéastes britanniques contemporains, cela ne l’empêche pas de séduire par son caractère irrévérencieux et ses propos mélancoliques.

Pendant leurs études universitaires, Annie (Lynda Steadman) et Hannah (Katrin Cartlidge) emménagent ensemble. Même si la première manque de confiance en soi, se trouve laide et est très naïve, elle s’entend plutôt bien avec la deuxième, une narcissique fille disjonctée, aussi crûe qu’impulsive. Ensemble, elles font les 400 coups, flirtent avec les garçons et méditent sur la face cachée de la lune. Six années après la graduation, les deux amies se rencontrent à nouveau. Malgré l’évolution de leurs existences respectives, la complicité revient peu à peu. Au cours de quelques journées, elles retournent littéralement en enfance, regrettant au passage quelques événements et des paroles tenues. Les compères tomberont également par hasard sur des individus qui ont joué des rôles prédominants dans leur vie.

Sorti en 1997, « Career Girls » est passé presque complètement inaperçu. C’est vrai que pour un long métrage de Mike Leigh, la vision artistique s’avère assez limitée. Tourné immédiatement après son chef d’œuvre « Secrets & Lies » (lauréat de la Palme d’or à Cannes en 1996) et juste avant le tout aussi important « Topsy-Turvey », cette histoire de filles qui apprennent à vivre avec le passé peut avoir un intérêt limité.

Pourtant, le sujet intimiste est traité avec respect et beaucoup de sensibilité. Loin d’être des figures emblématiques de beauté ou de savoir-vivre, les personnages demeurent des archétypes de toutes les générations, qui cherchent à survivre dans la misère et sans l’éducation de la figure paternelle. Jusqu’à l’illusion d’une renaissance à l’âge adulte, alors que les démons de l’enfance sont toujours présents.

Avec Pedro Almadovar, Mike Leigh est probablement un des cinéastes qui dirige le mieux la gente féminine. Pour défendre ses héroïnes, il a choisi deux actrices plutôt inconnues, qui surprennent par leurs affinités. Katrin Cartlidge (« Breaking the Waves ») campe une hallucinante « freak », toujours encline à rouspéter et engueuler son prochain. Même si pendant les premières minutes, les stéréotypes sont présents, ils s’effacent graduellement, au fil des souples retours incessants dans le temps. Aux antipodes est Annie, que Lynda Steadman (« Sweety Barrett ») joue avec beaucoup de retenu. Elle a été enlaidie pour des raisons inconnues et sa tendance à toujours baisser la tête face aux regards des autres la rend peut-être très vulnérable, mais l’actrice évite le misérabilisme. Ensemble, ces deux femmes se relancent la balle, alors que les beaux coups se veulent nombreux des deux côtés.

La réalisation de Leigh se veut plutôt conventionnelle. Les plans sont tournés sans grandes originalités et l’histoire, racontée simplement. Ce n’est toutefois pas un défaut, simplement une habitude pour un homme qui préfère soigner son contenu et non son contenant. Les mêmes critiques étaient de la partie pour son excellent « Vera Drake », qui a tout de même réussi à décrocher plusieurs prix prestigieux. L’humour se veut encore une fois au rendez-vous. Ici, il est très direct et méchant, sortant la plupart du temps de la bouche d’Hannah ou des situations assez désespérées.  

Sans être une expérience importante dans la brillante carrière de son auteur, « Career Girls » raconte une tranche de vie éminemment sympathique, où deux excellentes interprètes portent le sort du monde sur leurs épaules. Verbeux, comique et savoureux comme une tasse de thé. ***1/2

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