Avec son documentaire Le Vénérable W. qui porte sur le moine Ashin Wirathu, une des figures clés du désordre qui règne actuellement en Birmanie, le cinéaste Barbet Schroeder termine sa trilogie sur le mal qu'il a entamé avec Général Idi Amin et L'avocat de la terreur. J'ai pu lui parler et voici mon entrevue...
Je sais que vous l'avez déjà fait par le passé, mais comment fait-on
pour interroger quelqu'un que l'on sait coupable de crimes haineux?
C'est le but de tous les films de
cette trilogie. Le précédant était quand même à l'origine du terrorisme
moderne. Et celui d'avant, c'était un dictateur sanguinaire comme il y en a
beaucoup. Quelqu'un qui est responsable ou qui est partiellement responsable
d'un génocide, c'est quand même ce qu'il y a de pire lorsqu'on va rechercher
dans le mal. Là, ça boucle la trilogie et il faut que j'arrête, parce que je ne
peux pas trouver pire. Par contre, je peux commencer une trilogie du bien, si
c'est possible!
Comment vous l'avez convaincu à participer au projet?
C'est très simple. Je suis allé
le voir en lui disant que je voulais faire un film sur lui. Il m'a dit
«Pourquoi?» Alors je lui ai dit qu'en France, on va avoir une présidente,
Marine Le Pen, qui a exactement vos idées sur les Musulmans, qui va appliquer
des lois, et nous on veut savoir comment vous êtes arrivés à faire voter ces
lois anti-musulmans, car il y en avait au moins trois au quatre qui sont
passées. On voudrait avoir votre sentiment là-dessus, ça pourrait intéresser
beaucoup le public français. C'est avec cet angle-là que je l'ai approché et il
savait qu'il parlait à un public français dans lequel il y avait beaucoup de
gens qui avaient l'intention de voter pour Marie Le Pen.
Bien sûr, l'autre chose que je
fais, c'est que je laisse les gens parler. Je les encourage à parler. Je ne les
juge jamais. Je n'essaye pas du tout de faire ce que tous les journalistes font
quand ils interviews Wirathu, de lui dire «Mais vous n'avez pas honte, mais
est-ce que vous, vous rendez compte de ce que vous créé?» De toute façon, il a
des réponses toutes prêtes, il ne répondra jamais à ce genre de questions-là. Donc
il faut au contraire lui dire «Mais expliquez-moi, ça m'intéresse, je vous
écoute».
Sans nécessairement parler de questions éthiques, vous aviez des
questionnements moraux sur le sujet? Par exemple, sur ce qu'il faut montrer
comme violence à l'écran?
Le minimum absolu. J'avais des
tonnes d'images absolument épouvantables. On était malades dans la salle de
montage avec tous les films qui avaient été faits par les gens eux-mêmes
pendant tous les événements. C'est effrayant. Si vous lisez ce qui se passe en
ce moment-là et que vous imaginez ça filmé, c'est l'horreur absolue. Je n'avais
pas les horreurs comme celles qui venaient de se passer, mais quelque chose de
très approchant. Bien entendu, on a éliminé presque tout. Mais ça aurait été
bien malhonnête de ne pas garder deux ou trois petites touches pour donner une
idée. Déjà, ces deux ou trois petites touches étaient suffisantes pour qu'on
comprenne.
Il y a une scène terrifiante où le protagoniste montre une vidéo sur un
viol et un meurtre et qu'il se met ensuite à rire. Cela donne froid dans le
dos....
C'est son film à lui. C'est son
fantasme de cinéaste et de producteur. Ça, c'est une des scènes clés du film,
où tout d'un coup, le personnage principal du film vous montre le film qu'il a
fait et dont il est très fier. Tout le monde dans la salle est évidemment
horrifiés. Et il dit que c'est un film qui respecte réellement la vérité et
qu'il a essayé de reconstruire à l'écran à partir de bases documentaires. C'est
ça le comble de l'ironie. Ça l'air d'un mauvais film d'exploitation mais lui il
dit que c'est tout documenté, c'est tout vrai. Alors c'est très ironique sur le
cinéma, bien sûr.
Oui, tout à fait. C'est
intéressant que vous choisissez ce sujet-là, car dans la tête de
plusieurs personnes, les moines bouddhistes sont des adeptes de non-violence. Par
son discours, par ses actions, Ashin Wirathu fait totalement le contraire...
Oui. Il faut donc conclure que
toutes les religions ont une part maudite. On dit souvent que le bouddhisme
n'est pas une religion, que c'est une philosophie. Mais peut-être, peut-être qu'après
avoir vu ce film, on peut se dire c'est une religion, c'est une chose humaine
et comme toutes les choses humaines, le mal a sa place.
C'était prévu que ce film complète votre trilogie sur le mal?
L'idée de la trilogie est venue
après que j'ai fait Amin Dada. Je me suis dit que ma technique qui m'est
naturelle de ne pas vouloir juger les gens et de les faire parler marche
formidablement, alors il faut absolument que je continue. J'ai eu beaucoup de
projets documentaires qui n'ont pas tous marchés.
Comment percevez-vous la situation en Birmanie, avec la tragédie des
Rohingyas? On peut parler de génocide, de nettoyage ethnique?
Évidemment que c'est un génocide,
dans la mesure où un génocide n'est pas basé sur le nombre de morts. C'est basé
sur toutes une successions de définitions et il y a la plupart des définitions
du génocide qui sont déjà remplies. Si on veut être un peu timide, on peut
parler de nettoyage ethnique. Mais ça peut se transformer en catastrophe
humanitaire d'une seconde à l'autre, car on n'aide pas les Nations unies venir
sur place, apporter de la nourriture aux quelques Rohingyas qui sont restés. Il
y en a toujours qui essayent de fuir. Le choléra peut se déclencher parmi les
réfugiés d'une seconde à l'autre. Donc il y aurait un nombre considérable de
morts. On est dans une situation de crise absolument limite et il s'agit quand
même d'une population d'un million de personnes. Ce n'est pas rien.
J'avais voulu m'intéresser à
savoir comment le bouddhisme pouvait être mélangé à quelque chose comme ça et
malheureusement, j'étais en avance. Le pire est arrivé. Et maintenant, il faut
tout faire pour réparer cette chose. Mais on voit très bien que c'est devenu un
jeu politique et que les Chinois ne sont pas du côté des Rohingyas. Ils ne
pensent absolument pas aux Rohingyas d'abord. Ils pensent à leurs intérêts avec
la Birmanie, au pétrole. Eux, ils veulent arranger les choses, pour pouvoir
continuer à avoir leurs intérêts, mais ils ne veulent pas sauver les Rohingyas
ou créer une situation qui permette aux Rohingyas de rentrer chez eux avec une
protection armée des Nations unies, etc. Ce qu'on a fait au Kosovo. Une
solution comme ça n'est pas encore en vue.
L'opinion face à Aung San Suu Kyi est vraiment à la baisse...
C'est
une très triste histoire. Elle ne peut pas continuer à dire «Je fais ça pour
éviter le pire, pour éviter un coup
d'État». Il y a un moment où elle doit faire un choix. Elle a visiblement fait
le choix de défendre l'armée et les exactions de l'armée, de dire que les gens
brûlent leurs propres maisons, que ce sont les militants Rohingyas qui tuent
les gens et pas les militaires, que les militaires sont sans reproche et qu'il
n'y a pas eu de viols. Tout ça c'est sur son site à elle, qui est directement
supervisé par elle. Donc, il n'y a absolument aucune excuse pour qu'un prix
Nobel de la paix se comporte comme ça.
L'excuse est toujours «C'est pour
le bien du pays, c'est pour éviter une catastrophe». Et à force de vouloir
éviter une catastrophe, on est en plein dedans.